Des pigistes non payés depuis des mois, des nouveaux projets lancés sans financement assuré, un flou entretenu sur l’avenir de la publication… Les nuages s’accumulent au-dessus de la revue de journalisme au long cours XXI (et sa petite sœur axée photojournalisme 6 Mois), en difficulté financière au point d’être proche du dépôt de bilan selon les informations de Libération. Dirigés par le journaliste David Servenay et édités par la société Quatre, détenue par les créateurs de la Revue dessinée et Topo (mais au sein d’entités séparées) Frank Bourgeron et Sylvain Ricard, les deux «mooks» peinent à payer leurs journalistes, illustrateurs et autres créanciers depuis plusieurs mois. Le groupe Indigo publications (la Lettre A, Intelligence Online…) serait sur les rangs pour reprendre les titres.
Aïe aïe aïe aïe aïe. J'ai un profond attachement pour cette revue, à laquelle je suis abonné depuis quasiment le premier numéro. Ce qui me fait mal, ce n'est pas tant la perspective d'un dépôt de bilan (j'ai toujours confusément pressenti que ça finirait comme ça, et j'ai l'impression que l'équipe dirigeante multiplie les conner*es depuis le départ des fondateurs ; sans compter mon pessimisme habituel, qu'on pourrait résumer par "la merde ça rapporte, la qualité, non"), c'est ce qu'on entraperçoit du début du deuxième paragraphe de l'article (je ne suis pas abonné à Libé) : manque de transparence, menace sur les pigistes... Si c'est avéré, c'est très décevant.
EDIT : on arrive à avoir un peu plus d'infos sur l'article équivalent du Monde :
Si elle était précurseure en 2008, XXI est désormais concurrencée par des dizaines d’autres mooks (format hybride entre le livre et le magazine) comme Zadig, We Demain ou L’Eléphant. Revendiquant 8 500 abonnés pour XXI et les 3 500 de 6Mois ainsi que les exemplaires vendus en librairies, les revues restent aujourd’hui déficitaires pour la cinquième année de suite. La société éditrice Quatre totaliserait également plus de 700 000 euros de dettes.
Sur la centaine de collaborateurs concernés, certains d’entre eux disent se sentir « floués » et « en colère d’avoir été baladés » pendant plusieurs mois. Contactées par Le Monde, plusieurs personnes accusent la direction des revues d’une « fuite en avant » soulignant la myriade de projets récents alors que les finances étaient déjà fragiles.
Ce qui précède m'a rappelé l'édito du dernier XXI, que je viens de recevoir et que je me garde au frais pour les vacances :
Ils sont dix. Leurs noms sont devenus des mantras tant ils sont répétés, attaqués ou flattés, à tel point qu’on ose à peine les citer tant le risque est grand de voir les lecteurs abandonner la lecture de cet éditorial et tourner aussitôt la page par lassitude. Leurs photos s’étalent dans les journaux. Des centaines de portraits laudateurs leur ont été consacrés.
Ils s’appellent Vincent Bolloré, François Pinault, Patrick Drahi, Pierre Bergé, Matthieu Pigasse, Xavier Niel, Serge Dassault, Bernard Arnault, Martin Bouygues et Arnaud Lagardère. À eux dix, ils contrôlent l’essentiel de la production journalistique française du secteur privé. La liste de leurs acquisitions donne le tournis : Canal +, i-Télé, D8, Direct Matin, Dailymotion, Libération, L’Express, BFM TV, BFM Business, RMC, Le Monde, Télérama, Courrier international, Le Point, L’Obs, Les Inrockuptibles, le Huffington Post, Le Figaro, Les Échos, Le Parisien, TF1, LCI, Europe 1, Paris Match, le JDD, Elle… Sans compter une multitude de participations dans les sites ou les journaux naissants (on n’est jamais trop prudent).
Seule une poignée de journaux ou de sites internet d’information leur échappe. Cette concentration a pris ces dernières années des proportions inédites, à la suite de l’effondrement de la publicité (-25 % depuis cinq ans pour la presse magazine) et de la baisse de la diffusion.
Officiellement, ils agissent pour « sauver les journaux » et « assurer la transition numérique ». Dans la réalité, ils appliquent des techniques de cost killers et visent l’équilibre financier, au mieux. L’important est ailleurs : c’est l’influence qu’ils ont trouvée. Cette fameuse influence, ce Graal dans une France où l’État est omniprésent… Influer c’est compter dans l’espace public, c’est exister face aux politiques, c’est accroître son pouvoir.
L’influence agit par cercles concentriques. Il y a des sujets interdits, les thèmes privilégiés, l’autocensure, la promotion des amis, la célébration de soi, le silence. La mécanique n’est pas neuve. « Les propriétaires de ce journal m’ont proposé non de le diriger, mais d’exercer une sorte d’influence habituelle et de patronage sur l’esprit de sa rédaction. J’y ai consenti parce que j’y ai vu une occasion de représenter dans la presse les idées particulières que j’apporte… », écrivait déjà Tocqueville à un ami.
Le risque d’une telle concentration dans les mêmes mains est évident. Le chercheur Daniel Bougnoux a résumé l’enjeu en trois mots : l’argent, l’urgent, les gens. Il faut de l’argent pour proposer une information de qualité. Arbitrer entre l’urgent et l’important devient vital lorsque tout se bouscule et s’accélère. Quant aux gens, c’est eux, par leurs choix, qui détiennent le pouvoir de faire exister une autre presse.
Aussi assistons-nous à une floraison d’initiatives journalistiques indépendantes, en ligne ou en papier. Elles sont souvent fragiles et incertaines, mais elles annoncent un printemps de l’information. Une autre presse naît sous nos yeux, informelle, balbutiante, éclatée, sous le radar. Mais vivante et libre.
De nouvelles générations de lecteurs arrivent à l’âge adulte et sont à conquérir. D’anciennes cohortes de papivores, lassés par l’appauvrissement de l’offre, ne demandent qu’à renouer avec leur passion d’antan. Des trentenaires ont l’habitude de la consultation numérique mais sont frustrés de l’offre en ligne. Des centaines de milliers d’hommes et de femmes sont prêts à aimer de nouveaux médias s’ils sont aimables. Si nous savons constituer des rédactions en qui ils puissent avoir confiance, qui abordent des sujets qui les concernent, et avec lesquelles ils tissent des liens profonds.
À la logique de l’influence, nous pouvons substituer un artisanat créatif et aventureux. Plus d’un million de spectateurs ont fait un triomphe au documentaire Demain. Où sont les médias qui partagent cet élan ? C’est à nous et à vous de jouer !
Bel été à tous, plein de « ces moments de bonheur » et de « ces midis d’incendie » dont parlait Aragon.
Laurent Beccaria et Patrick de Saint-Exupéry
Tout n'est pas à jeter dans la presse. <3 XXI
"Pour mesurer la différence, il vous suffit de pratiquer le « test Google ». Cela ne vous prendra que quelques minutes, et c’est instructif. Après avoir terminé la lecture de votre revue favorite, prenez un par un les sujets de ce numéro. [...] Notre algorithme, c’est le flair des auteurs et leur force de conviction. Nos acheteurs, c’est vous. Notre moteur de recherche, c’est le réel."
Suite de ça : http://sammyfisherjr.net/Shaarli/?SnV3gQ
Je voudrais mettre une citation de l'article en exergue :
"Et généralement, cela permet au lecteur d’apprendre des choses, de s’ouvrir au monde, bref, l’inverse de l’effet produit par les articles qui relatent des petites phrases, en continu, l’une chassant immédiatement l’autre. Le rôle du journaliste n’est à mon sens pas de créer du buzz. Mais de donner à réfléchir sur la marche du monde."
Cette citation me fait penser au plaisir sans cesse renouvelé que je prends à lire XXI. C'est un journal, c'est à l'intersection du récit et du reportage, et ce que dit cette phrase est exactement ce qu'ils font.
C'est marrant, j'en parlais ce matin, de XXI.
La revue se lance dans la mise à disposition de version audio de ses reportages. Bonne idée.
A l’automne 2008, XXI publiait un récit intitulé Les crocodiles du Zaïre, fruit d’un long travail d’enquête en France et en Afrique sur la mort de Philippe de Dieuleveult, l’animateur de La chasse au trésor. Anna Miquel signait ce récit qui eut pour conséquence de déclencher, à la demande de Jean de Dieuleveult, le frère de Philippe, l’ouverture d’une information judiciaire.
En 1994, déjà, Jean de Dieuleveult avait révélé sur France 2 que son frère faisait partie des services secrets français.
Les enquêteurs de la brigade criminelle ont rendu leurs conclusions en octobre 2009. Parues dans la presse à la suite de fuites, ces conclusions nous ont surpris. La présentation qui en était faite nous paraissait biaisée. C’est pourquoi nous avons décidé de mettre sur la table tous les éléments de l’enquête.