Pour ma part, moi qui ai spontanément effectué il y a peu le parallèle entre le sort des juifs dans les années 1930 et celui des musulmans aujourd’hui, je pense qu’il n’y a que deux façons de juger de la légitimité de ce rapprochement. Soit on est choqué par le sort fait aujourd’hui aux musulmans en France, et l’on pense que celui-ci relève non seulement du racisme, mais aussi de la désignation expiatoire d’un bouc émissaire, auquel cas l’emploi de symboles forts, fut-il polémique, est parfaitement justifié (à plus forte raison quand le discours ambiant entreprend de minimiser l’existence du racisme, rebaptisé «critique des religions»).
Soit on pense, comme c’est le cas de ceux qui traitent leurs adversaires d’«islamo-collabos», qu’il ne faut pas confondre racisme et critique des religions, ou que le racisme est une chose trop grave pour laisser des ennemis de la nation s’en prévaloir, et on va évidemment conclure que mêler le souvenir de la Shoah avec celui des attentats est une offense au peuple juif.
Autrement dit, soit on est antiraciste et on juge qu’il n’est pas nécessaire d’attendre la multiplication des agressions contre les musulmans pour s’alarmer de la montée de l’islamophobie, soit on a été intoxiqué par un nouveau type de racisme, panique issue du néoconservatisme américain mêlant clash des civilisations et peur du terrorisme, et on a du mal à comprendre que des bourreaux puissent être simultanément des victimes. Je suis navré pour BHL et consorts, mais s’ils n’admettent pas que l’on puisse évoquer le racisme ni employer ses symboles lorsqu’il s’agit des musulmans, alors ils démontrent simplement qu’ils sont islamophobes. Avec tout mon soutien à l’admirable Esther Benbassa, qui est pour les progressistes une source d’inspiration et de joie.