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84, Charing Cross Road
jeudi 16 janvier 2025, par

A l’époque d’Helene Hanff, le site Place des Libraires n’existait pas.
Connaissez vous Place des Libraires ? C’est un super site qui vous permet, plutôt que de passer par Am*z*n, de chercher puis commander un livre dans n’importe quelle librairie en France, pour peu qu’elle soit sur le site, bien entendu. |
Mais comme internet d’une manière générale n’existait pas non plus, il fallait écrire à son libraire pour qu’il vous envoie son catalogue, puis lui récrire pour commander l’ouvrage désiré. [1] On pouvait éventuellement lui récrire encore, pour le remercier, lui commander un autre livre, ou l’enguirlander parce que le livre est une traduction du sumérien vers l’hébreu, alors qu’on voulait la version grecque [2]. C’est, à peu de choses près, le contenu de ce charmant opuscule [3], retraçant à peu près 20 ans de correspondance entre Helene Hanff, scénariste new-yorkaise perpétuellement fauchée, et la librairie Marks & co. sise 84, Charing Cross Road - Londres.
Helene est exigeante sur les livres qu’elle désire lire, déçue par ce que proposent les librairies new-yorkaises, et du genre à se passer de meubles pour acheter lesdits livres. Du coup, elle se tourne vers le vieux continent. Ce qui débute comme une correspondance d’abord strictement commerciale, deviendra un échange de plus en plus chaleureux entre Helene et les différents employés de la libraire, notamment Frank Doel, qui durera grosso-modo de 1949 à 1970. On y découvre non seulement les différentes personnes de la librairie, avec leurs tracas et leurs joies, mais aussi leurs familles, leurs voisines... Comme l’Angleterre est encore soumise aux restrictions de l’après-guerre, Helene transforme régulièrement ses lettres en véritables colis de nourriture. Des livres traversent l’Atlantique dans un sens, des colis de jambon et de conserves dans l’autre.
C’est une adorable histoire de relations humaines entre des personnes unies non seulement par l’amour des livres, mais surtout par un profond respect mutuel, et c’est avec beaucoup d’émotion que l’on partage quelques moments de la vie de ces personnes, et beaucoup d’émotion encore lorsque l’on doit les quitter après ces quelques pages. Je vous recopie ici ce qu’une journaliste du journal Le Temps en disait dans un article de 2001, déjà cité dans mon Shaarli :
Peu à peu, entre la recluse et les employés de Marks & Co, c’est unevéritable amitié épistolaire qui se noue, des deux côtés de l’Atlantique. Une amitié extravagante, fantasque, délicieuse et délicate, où chacun se confesse auprès d’Helene Hanff, comme s’il s’agissait d’une vieille tante de province. Cecily lui envoie la recettedu rôti au pudding. Bill lui ouvre son cœur. Frank Doel, son correspondant le plus fidèle, la tient informée de ses affaires de famille, lui offre des photos et finit par en faire sa confidente pendant près de vingt ans, sans qu’elle ait jamais les moyens de se payer un billet pour Londres. Restent ces lettres, une savoureuse love story qui est aussi un brûlant éloge de la lecture et des libraires. Un petit régal.
L’histoire se termine un peu tristement : quand enfin Helene aura les moyens de s’offrir un séjour à Londres, ce ne sera qu’après la mort de Franck. Ces deux là n’auront jamais pu se rencontrer. Et c’est en publiant cette correspondance qu’Helene Hannf connaîtra enfin la notoriété et une relative aisance financière à la fin de sa vie. Un film (1987) avec Anthony Hopkins dans le rôle de Franck a été adapté du livre. Je me faisais une joie de le regarder, je dois confesser qu’il est d’un ennui abyssal, et que j’ai lâché l’affaire au bout de vingt minutes.
Bien évidemment, comme tous les livres qui parlent de livres, celui-ci m’a donné envie de lire certains des livres cités, comme par exemple le Journal de Samuel Pepys [4], mais aussi des auteurs que je connais déjà à des degrés divers, comme Stevenson, Woolf, Chaucer... Merci madame Hannf, merci mister Doel. Last but not least comme aurait pu dire Franck Doel, j’ai découvert ce livre grâce à L’infini dans un roseau, évoqué il y a quelques jours, et l’enthousiasme avec lequel Irene Vallejo en parlait m’avait immédiatement donné envie de le lire.
Il y a quelques semaines, le Père Noël a commandé un livre depuis Dijon à une librairie située aux Sables d’Olonne, en utilisant le site Place des libraires. C’était la seule librairie à le proposer. J’ai eu une pensée pour Hélène Hanff, aussi ai-je bien pris soin de finir mon mail sur une note légère et primesautière.
[1] Époque qui nous parait tellement lointaine, n’est ce pas ? Et pourtant ce n’est pas si vieux.
[2] j’exagère à peine
[3] J’adore ce mot. Opuscule. On voit tout de suite qu’il s’agit d’un livre pas très gros, mais pas ordinaire non plus ; ce n’est pas une brochure, ni un « Folio à 2€ ». Non, c’est un opuscule, et on est fier de l’exhiber et d’en parler à ses connaissances.
[4] Un haut fonctionnaire de l’Amirauté anglaise du XVIIème siècle, parfaitement respectable en apparence, mais qui s’épanche dans son journal d’une façon bien plus drôle et excentrique que ce que son personnage public pouvait laisser deviner.