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Lectures 2024 - Première voiture balai

mercredi 15 janvier 2025, par Sammy

C’est une année qui, outre les livres évoqués dans l’article précédent, aura été marquée par le décevant Babel, le mitigé premier jour de paix, le toujours jubilatoire Pierre Lemaître, la découverte d’Annie Ernaux. Et Auprès de moi toujours. Ce roman m’a bouleversé, au point que j’en ai tiré un deuxième article, alors que je suis réduit à en synthétiser d’autres dans des articles de rattrapage !

Ledit article de rattrapage visant en quelque sorte à rendre hommage à ces lectures qui m’ont accompagnées quelques heures, jours ou semaines pour les plus longues. Je précise bien que si ces livres figurent dans cet article-balai, ce n’est pas qu’ils sont moins bons ou moins dignes de mériter un long article, c’est juste que je n’ai pas eu le temps pour le faire !

Frank - Zidrou : La Bête - Tome 1 et 2

Deux gros albums pour une histoire qui revisite le marsupilami. L’action se situe dans la Belgique d’après-guerre, et le moins qu’on puisse dire c’est que la bonhommie, pour ne pas dire la naïveté des premiers albums de Spirou et Fantasio où apparaissait le drôle d’animal est loin derrière nous. Et je ne parle même pas des albums contemporains, plus prétextes à enchaînements de gags plus ou moins inspirés.

L’histoire et les sentiments du premier album sont un peu tristes ; le décor est sombre et un peu sale. Le personnage principal est un petit garçon élevé par une mère seule ; son papa, c’est un trop bel officier allemand qui n’est jamais revenu. Sa vie se partage entre le harcèlement dont il est victime de la part de ses camarades, et sa passion pour le sauvetage d’animaux éclopés. Ne sortez pas les mouchoirs : l’humour est omniprésent, mais il apparait davantage comme un contrepoint (salutaire) à la grisaille ambiante.

Comme le titre l’indique, c’est l’aspect sauvage de l’animal -qui ne sera baptisé « marsupilami » qu’à la toute fin du second tome- qui est mis en avant. C’est une bête fauve échappée d’un cargo, que l’on va vouloir successivement capturer, abattre, disséquer. L’association de ces deux victimes de la bêtise humaine va produire une fort jolie histoire, où l’on retrouve malgré tout les fondamentaux du marsupilami : une force incroyable, un appétit vorace, la protection de ses amis.

Deux beaux albums qui oscillent entre l’humour et la tendresse, émaillés d’expressions en belge dans le texte (il y a un glossaire à la fin).

Becky Chambers : Apprendre, si par bonheur

Je vais le dire directement : j’ai moins aimé ce livre que la série des Voyageurs, ou que L’histoire du Moine et du robot, dont je parlerai juste après. Il m’est assez difficile d’expliquer pourquoi. Ce n’est pas un mauvais livre, la fin m’a mis de l’humidité dans les yeux, mais... c’est pas palpitant, je me suis, à mon grand regret, un peu ennuyé. Le récit tournait peut-être un peu trop à la démonstration, il était peut-être un peu trop tendu vers le paragraphe final. Demeure un joli plaidoyer pour la préservation des ressources naturelles et l’exploration scientifique.

Mais c’est peut-être juste moi. Parfois, la rencontre ne se fait pas et c’est comme ça.

Oh, et sinon, j’ai passé toute ma lecture à visualiser l’héroïne avec les traits de mon personnage dans Baldur’s Gate 3. Vous pensez qu’on peut encore quelque chose pour moi ?

Becky Chambers : Histoire du moine et du robot

Les robots se sont éveillés à la conscience, puis ils sont partis. Les humains ont du apprendre à se débrouiller sans eux. Ils ont même fait leur révolution, en accordant la moitié de la planète au monde sauvage.

« C’était la norme depuis la Transition, quand les habitants avaient légiféré sur la répartition territoriale. Cinquante pour cent de l’unique continent pangaïen étaient dévolus à l’usage humain ; le reste appartenait à la nature, et l’océan serait presque entièrement intouché. Quand on y pensait, c’était hallucinant : la moitié des terres pour une seule espèce, l’autre pour les milliers d’autres. Mais l’humanité avait un don pour bouleverser tout équilibre. Accepter une limite constituait déjà une grande victoire. »

Le personnage principal est non-genré, tant mieux si ça doit faire râler les cons. Dex, puisque c’est son nom, devient « moine du thé » [1], et part à la rencontre des habitants, sur son vélo-maison, pour leur apporter chaleur et réconfort. En chemin, il rencontrera Omphale le robot, prélude à une improbable amitié.

Ces deux novelas (les 2 livres lus à la suite équivalent à un roman court) sur l’altérité, le prendre soin, l’écologie sont un excellent souvenir de lecture de 2024. Tout est plus simple avec Becky Chambers : l’amour, le genre, le sexe, l’amitié avec un robot.

Utopique ? Certainement. Rassérénant ? Assurément.

Terry Pratchett : Les Annales du Disque-monde - Carpe Jugulum

C’est assez extraordinaire pour que je le signale : je n’ai pas aimé ce volume des Annales du Disque-monde. Même la façon dont Mémé s’en sort [2], c’était pas gagné. C’est trop sombre, je n’ai pas aimé voir Mémé vulnérable, faillible. Je crois que j’ai hésité durant toute ma lecture entre « elle s’en prend plein la gueule, là, non ? » et « nan, mais c’est une ruse en fait, hein ? ».

Ce n’est pas un mauvais disque-monde, loin de là ; c’est, à l’instar du Chambers évoqué plus haut, une mauvaise rencontre. Je ne m’attendais pas à ça, du coup j’ai sûrement eu du mal à accepter ce qui m’était raconté. Au demeurant, ce volume respecte les fondamentaux attendus des annales, l’aspect satirique indissociable de tout Terry Pratchett est bien présent, avec notamment la critique du pouvoir, des gouvernés, de la religion...

J’peux pas les vaincre, dit Mémé Ciredutemps. Ils ont l’esprit comme de l’acier. J’ai tout essayé. Toutes les ficelles que j’connais ! Le meilleur a failli m’avoir dans ma chaumière. Ma chaumière, tu t’rends compte ? J’ai jamais rien connu de tel. Ces vampires, ils ont appris des trucs. J’ai trouvé aucune faille chez eux, nulle part. Ils sont plus forts, ils réfléchissent vite… Moi je te l’dis, les affronter par l’esprit, c’est comme cracher contre une tempête.
— Tu vas faire quoi, alors ? demanda Nounou.
— Rien ! J’peux rien faire ! Tu comprends donc pas ce que j’te dis ? Ils connaissent tout en magie, ils sont rapides, ils nous prennent pour du bétail doué d’la parole… J’ai examiné le problème sous toutes les coutures et j’vois pas ce que j’peux faire. J’suis vaincue. D’avance.

Boulgakov : Le roman théâtral

Un roman inachevé de Boulgakov ; j’aime beaucoup Boulgakov, j’ai lu Cœur de chien, Le Maître et Marguerite [3], Le roman de Monsieur de Molière, et je les ai tous aimés, entre « bien » et « beaucoup ».
Mais cette histoire d’écrivain se débattant au milieu des engrenages de la bureaucratie soviétique pour faire jouer sa pièce ne m’a pas follement passionnée. Je ne suis pas vraiment rentré dedans ; bien qu’inachevé, c’est très long, il y a trop de personnages, et on a du mal à compatir aux malheurs du défunt écrivain (le roman est censé être un écrit retrouvé après son suicide) tant l’ensemble penche plutôt du côté du grotesque tendance Gogol que de l’enchaînement fatal menant à la mort. Honnêtement, pour tout dire, c’était même un peu chiant.

Désolé Mikhaïl.

Rivers Solomon : Les abysses

Au temps pas si lointain à l’échelle de l’humanité de la traite des noirs, les négriers jetaient à la mer les femmes enceintes ou sur le point d’accoucher. Le roman imagine que les enfants nés de ces femmes assassinées ont donné naissance à une nouvelle race, que l’on pourrait plus ou moins apparenter à des sirènes, pour faire simple.

A ce postulat de départ vient se greffer une histoire fondée sur la transmission, la mémoire. L’héroïne, désignée pour ainsi dire depuis toujours pour devenir celle qui portera la mémoire de sa communauté, et permettre à la fois d’en assurer la survivance tout en déchargeant ses semblables de ce fardeau, fuit ses obligations, mais bientôt, sera rattrapée par ses obligations. La fable est assez transparente pour que je vous épargne mes maladroites explications.

Un beau livre, poétique, troublant et poignant.

Marlen Haushofer : Le mur invisible

Un roman étrange, qui évolue dans le genre du post-apo sans pour autant s’en revendiquer ni en revêtir les oripeaux.

Une femme se retrouve seule dans un chalet des Alpes autrichiennes, avec un chat, un chien et une vache, après un événement qui ne sera jamais complètement décrit ni explicité, mais qui semble avoir anéanti toute l’humanité. Elle parait être la seule survivante, mais cela restera jusqu’au bout une hypothèse non vérifiable, car un mur invisible -d’où le titre- l’isole du reste du monde.

Après plusieurs mois de survie, elle entreprend la rédaction de son journal, de son propre aveu, pour ne pas devenir folle, et c’est ainsi que nous découvrons par quel hasard elle s’est retrouvée dans ce chalet, et comment elle a organisé sa survie.

Comme je le disais, l’appartenance à la SF n’est absolument pas revendiquée. C’est « juste » l’histoire d’une femme qui va devoir se débrouiller pour survivre seule, alors qu’elle est (peut-être) la dernière survivante de l’humanité, mais indubitablement coupée du reste du monde, emprisonnée en pleine nature.

C’est une œuvre que j’ai le plus grand mal à qualifier : ode au retour à la terre, manifeste écologiste, avertissement de ce à quoi pourrait mener la course aux armements [4]... ou tout simplement, l’histoire d’une femme. Prise dans des circonstances extraordinaires, mais avec des préoccupations très ordinaires, qui tente de survivre au jour le jour.

A bientôt pour la suite des lectures 2024 !


[1J’ai adoré le concept du « moine du thé » et du "dieu des petits plaisirs.

[2Ben oui, elle s’en sort quand même

[3Attention chef d’œuvre

[4on est dans les années 70, entre prise de conscience écolo et regain de la guerre froide

  1. Mes lectures préférées de 2024