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Et quand je ne joue pas, je lis Arsène Lupin

vendredi 10 mars 2023, par Sammy

Inutile que je présente le personnage, tout le monde le connait, ou du moins sa légende. Et c’est bien ça le problème, à trop croire le connaître, on se rend compte qu’on ne sait finalement pas grand chose.

C’est après avoir vu la série Lupin l’année dernière que j’ai eu envie de (re)lire Arsène [1]. Comme j’ai envie de bien faire les choses, j’ai décidé de les lire dans l’ordre, en commençant par le premier publié [2]

Arsène Lupin, gentleman cambrioleur

Séquelle de la publication en feuilleton, chacun des chapitres de ce livre, de la taille d’une nouvelle, peut se lire indépendamment des autres, mais ils forment ensemble une histoire complète. On est assez proche dans le ton et les rebondissements d’un Sherlock Holmes, euh pardon, d’un Herlock Sholmès, et ça se lit avec plaisir.

Ces histoires mettent en scène, de mon point de vue, l’Arsène Lupin de l’imaginaire populaire, léger, charmeur, insaisissable, se tirant avec le sourire de toutes les situations et ridiculisant ses adversaires.

Au final, qui de mieux qu’un juge pour présenter le personnage ? On peut dire ce qu’on veut, l’instruction a été remarquable... même si le personnage qui se fait connaître sous l’appellation d’Arsène Lupin ne sera évidemment jamais jugé. D’ailleurs... était-il présent à son procès ?

Vous présentez ce cas assez original dans notre société moderne de n’avoir point de passé. Nous ne savons qui vous êtes, d’où vous venez, où s’est écoulée votre enfance, bref, rien. Vous jaillissez tout d’un coup, il y a trois ans, on ne sait au juste de quel milieu, pour vous révéler tout d’un coup Arsène Lupin, c’est-à-dire un composé bizarre d’intelligence et de perversion, d’immoralité et de générosité. Les données que nous avons sur vous avant cette époque sont plutôt des suppositions. Il est probable que le nommé Rostat qui travailla, il y a huit ans, aux côtés du prestidigitateur Dickson n’était autre qu’Arsène Lupin. Il est probable que l’étudiant russe qui fréquenta, il y a six ans, le laboratoire du docteur Altier, à l’hôpital Saint-Louis, et qui souvent surprit le maître par l’ingéniosité de ses hypothèses sur la bactériologie et la hardiesse de ses expériences dans les maladies de la peau, n’était autre qu’Arsène Lupin. Arsène Lupin, également, le professeur de lutte japonaise qui s’établit à Paris bien avant qu’on n’y parlât du jiu-jitsu. Arsène Lupin, croyons-nous, le coureur cycliste qui gagna le Grand Prix de l’Exposition, toucha ses 10 000 francs et ne reparut plus. Arsène Lupin peut-être aussi celui qui sauva tant de gens par la petite lucarne du Bazar de la Charité… et les dévalisa.

Arsène Lupin contre Herlock Sholmès

Une histoire digne de Sherlock Holmes, dans les deux sens du terme. Le célèbre détective est en-effet appelé en renfort, au terme de plusieurs affaires dont les gazettes se firent l’écho, chacune mystérieuse à sa façon, chacune portant la marque d’Arsène Lupin.

L’affrontement entre les deux génies commence alors : bien malin qui peut en prédire l’issue [3] ! Le pastiche de Sherlock Holmes par Maurice Leblanc est très réussi, à ceci près qu’il est odieux, notamment envers ce pauvre Watson (transformé en Wilson), qui passe du statut peu enviable de faire-valoir à celui de souffre-douleur, doublé d’un abruti chronique !

Pire, Herlock Sholmès n’a pas le beau rôle dans les deux récits [4] qui composent ce mini-recueil. Il apparait comme celui qui se mêle de ce dont il ne devrait pas, alors que Lupin est celui qui, tout cambrioleur qu’il est, se pose en défenseur de la veuve et de l’orphelin.

Théâtre

Les romans marchent bien, paf, on en fait une pièce de théâtre. J’avais quelques réticences à la lire au début, mais elle est finalement vite lue et s’intègre bien dans la continuité des récits, faisant notamment le trait d’union entre Arsène Lupin contre Herlock Sholmès et L’aiguille creuse, et une légère redite en terme de procédé (on retrouve des éléments des romans qui précédent). Aujourd’hui, on dirait qu’elle s’intègre dans le lupinverse... des allusions aux événements -pourtant légers- se déroulant dans cette pièce sont faits dans L’Aiguille creuse et dans 813.

Toujours jouée de nos jours, j’imagine assez aisément que la pièce doit se laisser voir sans déplaisir : c’est une comédie, et outre les facéties habituelles du cambrioleur, elle donne également à voir les « coulisses » de l’organisation Lupin : les complices, Victoire, la part d’improvisation au milieu du plan mûrement réfléchi...

L’aiguille creuse

Je confirme ce que je disais en note : je ne me souvenais de rien, et finalement tant mieux car, des livres cités dans cet article, celui-ci est mon préféré ! Jugez plutôt : Arsène Lupin entre la vie et la mort ? Gravement blessé, caché à l’endroit même où il a été touché, et pourtant personne n’est capable de le retrouver ? Et c’est un étudiant sorti de nul part qui s’avèrerait être un challenger peut-être plus dangereux que Herlock Sholmès ?

Au-delà du charme habituel de Lupin, et de l’affrontement avec Isidore Beautrelet (outsider qui vole la vedette à Herlock Sholmès, et occupe plus de place dans le récit que Lupin lui-même !), c’est -déjà- presque un roman crépusculaire. Je n’en dis pas plus pour ménager la surprise des futurs lecteurs.

Encore une citation, tirée de ce roman, pour montrer cette fois toute l’étendue de la mégalomanie de Lupin. Mais n’en a t-il pas le droit ? Ce que Lupin annonce, il le réalise...

Et tu ne sais pas non plus toutes les ressources qui sont en moi… tout ce que ma volonté et mon imagination me permettent d’entreprendre et de réussir. Pense donc que ma vie entière – depuis que je suis né, pourrais-je dire – est tendue vers le même but, que j’ai travaillé comme un forçat avant d’être ce que je suis, et pour réaliser dans toute sa perfection le type que je voulais créer, que je suis parvenu à créer. Alors… que peux-tu faire ? Au moment même où tu croiras saisir la victoire, elle t’échappera… il y aura quelque chose à quoi tu n’auras pas songé… un rien… le grain de sable que, moi, j’aurai placé au bon endroit, à ton insu…

Je vous aurais bien parlé de 813, mais je n’ai pas eu le temps de le terminer dans les délais que je me suis fixé (le quand je ne joue pas du vendredi). Ce sera pour vendredi prochain ! [5]

En guise de conclusion provisoire, si vous cherchez quelque chose pour vous réconcilier avec le plaisir de lire que vous ressentiez lorsque vous aviez 12 ans, n’hésitez pas : lisez Arsène Lupin !


[1j’avais déjà lu L’aiguille creuse, il y a fort fort longtemps, mais je ne me souviens absolument pas des péripéties, juste du pourquoi du titre, qui a tant fait pour la renommée d’Étretat...

[2parce que j’ai appris au passage que, comme c’est souvent le cas dans les grandes sagas romanesques, la chronologie de l’histoire s’écarte de plus en plus de l’ordre de publication. Un des romans sur la jeunesse de Lupin, La comtesse de Cagliostro sera ainsi publié en 1924, alors que les premiers récits de Lupin paraissent en 1907.

[3si vous répondez « bah si, c’est forcément Lupin qui gagne, je le sais, y’a plein d’autres livres », vous n’êtes vraiment pas joueurs.

[4La dame blonde et La lampe juive... si vous avez vu la série Netflix, ça devrait vous dire quelque chose...

[5Source de l’image : Compte Twitter d’Omar Sy.