À l’époque, certes, il y eut un consensus : si elle avait pour objectif d’enrayer la trypanosomiase à l’échelle de la population, la vaccination à la Lomidine protégeait aussi l’individu vacciné. Pourtant, les Européens installés sur le sol africain échappèrent à cette logique. Non seulement la vaccination – que l’on savait risquée et douloureuse – ne leur était pas imposée, mais son administration était étudiée au cas par cas, en vertu d’un calcul risque/bénéfice qui n’était pas soumis au critère du collectif. L’Européen ne faisant pas partie de la masse, la prophylaxie n’était généralement pas indiquée pour lui. Ce n’était que lorsqu’il tombait malade qu’il était traité à la Lomidine. À deux objets différents – masse et individu – correspondent donc deux modes d’intervention distincts : la prévention ou la thérapie.
La médecine de masse était également une médecine racialisée : c’est en tant qu’« africain » que l’individu est de facto exclu du champ du regard médical. C’est à la lumière d’une telle exclusion qu’il faut comprendre le peu d’importance accordée à la question des effets, bénéfiques ou néfastes, de la lomidinisation préventive sur l’individu. C’est par une telle exclusion qu’arriva le scandale.