La barbarie que nos livres sont censés combattre est là, devant nos yeux. Nous, auteurs et autrices, avons beau jeu de clamer sur tous les toits que l’empathie est notre première arme, que nous luttons à travers nos mots contre les inégalités et la violence, quand nous ne sommes pas capables de nous intéresser de près à ce qui constitue aujourd’hui la véritable barbarie – celle qu’on inflige aux plus pauvres, aux moins favorisés, aux moins blancs aussi. Pleurer sur ces bibliothèques qu’on brûle n’arrangera rien, au contraire : on ne fera que passer le message à ces gens déjà en colère qu’une poignée de livres vaudra toujours davantage que leur vie.
Le seul moyen que connaît l’État pour contrôler ces quartiers c’est l’occupation militaire. Une présence omniprésente et de plus en plus grande de policiers, de baqueux, de CRS. Alors fatalement, ce qu’on appelle pudiquement une « bavure » arrive régulièrement. Mais ce terme ne sert qu’à couvrir ce racisme systémique et la répression systématique de la jeunesse des quartiers populaires. Les forces de répression ont le droit de vie ou de mort. Lorsqu’il y a « bavure », il y a rarement procès car la justice s’acharne sur les familles qui osent relever la tête et réclamer la vérité et la justice. La famille Traoré qui est littéralement persécuté par la justice en est malheureusement l’incarnation.
Qu’on s’effraie plus d’un feu de papier que d’un meurtre raciste par les flics me plonge dans une stupéfaction horrifiée.
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Ce qu’on est censé trouver dans un livre, ce n’est pas l’encre et le papier mais l’ouverture au monde, la réflexion, la rêverie, la distraction, l’occupation, l’inspiration, la frayeur, l’émotion, la compréhension, la tristesse, l’horreur, la haine, la joie, le rire, un écho ou la déception. Ou une recette de cuisine.
Le livre en soi n’a pas plus de sens que n’importe quoi d’autre. Une page arrachée à mon carnet pour noter ma liste de course a infiniment plus de valeur qu’un torchon publié de Soral.Qu’est-ce qu’on défend dans les livres qui ne se trouverait qu’ici ? rien.
Et même dans un livre – Fahrenheit 451 de Bradbury – on trouve ceci :"Ce n’est pas de livres que vous avez besoin, mais de ce qu’il y avait autrefois dans les livres. […] Les livres n’étaient qu’un des nombreux types de réceptacles destinés à conserver ce que nous avions peur d’oublier. Ils n’ont absolument rien de magique. Il n’y a de magie que dans ce qu’ils disent, dans la façon dont il cousent les pièces et les morceaux de l’univers pour nous en faire un vêtement.
[…]
Est-ce que vous voyez maintenant d’où viennent la haine et la peur des livres ?
Ils montrent les pores sur le visage de la vie. Les gens installés dans leur tranquillité ne veulent que des faces de lune bien lisses, sans pores, sans poil, sans expression."La bibliothèque rouvrira en juillet, c’est une bonne chose.
Mais Boubakar reste mort et ces quartiers n’en finiront pas d’entendre des horreurs sur leur prétendue barbarie.