Notre premier fils est né en août 2011. Ça ne s'était pas très bien passé, l'accouchement s'étant terminé par une césarienne en urgence après une nuit interminable où nous nous étions sentis quelque peu abandonnés au 4ème étage de la maternité. Au final, l'enfant va bien, et il nous impressionne jour après jour par son intelligence (et sa beauté, mais pour tous les parents tous leurs enfants sont beaux).
Notre deuxième fils est né le 20 mai 2019. 8 ans après son frère, après 6 ans de tentatives dont 5 ans d'assistance médicale à la procréation. 13 tentatives. 12 échecs.
C'est long. Ça fait mal moralement. Et vous ne serez donc pas étonné·e·s que je présente une sensibilité particulière au sujet, et que je voue une haine particulière à toutes les personnes expliquant qu'illes sont contre la PMA, contre la GPA, par principe parce que Dieu, parce que la Nature, parce que c'est dans la tête, parce que il n'existe pas de droit à l'enfant ; et celleux qui ne sont pas contre, mais pas pour les couples homosexuels, ou bien que les enfants nés par PMA ou GPA, ça ne devrait pas exister (je ne sais plus quelle créature de Laurent Wauquiez avait proféré cette horreur, il y a quelques années).
8 mois et demi* d'angoisse, d'attente et de joie. Nous l'avons senti bouger, nous l'avons désiré, et nous l'avons accueilli avec une joie que je vous laisse imaginer.
L'accouchement s'est très bien passé. Un accouchement comme dans les manuels, hyper-rapide et sans péridurale parce que c'est trop tard madame, vous êtes à 8 cm et on voit la tête.
Je vais annoncer une banalité, mais je n'avais pas vécu un moment aussi fort lors de la naissance de notre premier enfant, je ne l'avais pas vu. J'avais passé environ 25 minutes d'agonie à imaginer que la mère et l'enfant étaient morts (césarienne en urgence, ça veut bien dire ce que ça veut dire : il y a un risque vital), puis on m'avait emmené voir ce petit machin geignant dans une boîte, m'expliquant qu'il avait mal. Le geignement de ce bébé en vrac (il avait quand même le pied gauche sur l'épaule droite, il lui a fallu quelques heures pour se déplier et quelques jours pour ne plus avoir mal) fait partie des choses qui peuvent encore me faire pleurer quasiment sur commande. Je parle beaucoup de moi, mais je vous laisse imaginer l'état (physique et mental) de la mère...
Toujours est-il que tout s'est bien passé cette fois, et quand les sages-femmes ont posées l'enfant sur sa maman, je n'ai pu que murmurer dans un souffle, tant cela reflétait exactement ma pensée : c'est extraordinaire.
Ça, c'était le lundi. Le jeudi, le bébé et la maman sont rentrés à la maison.
Le dimanche, nous sommes retournés aux urgences pédiatriques. Il ne se réveillait pas pour manger, il fallait le réveiller, puis le stimuler, et même là, il ne prenait pas grand chose, il fallait presque le gaver à la cuiller, puis à la pipette. Problème. Allant contre l'avis des professionnelles, nous avions loué un pèse-bébé, et constaté qu'il avait tout de même largement perdu 10% de son poids depuis la naissance. On a été aux urgences, ils l'ont gardé, et a débutée l'angoisse. Il a été réhydraté et nourri par sonde, ça, c'est plutôt normal vu le contexte. Mais il a eu plus de prise de sang que moi dans toute ma vie, il a été ausculté, palpé, tripoté, échographié ; on a analysé le sang, l'urine, les selles, pour finir par -le mercredi !- lui faire la séance de photothérapie qui aurait dû être faite beaucoup plus tôt. Ça aussi, j'ai du mal à le digérer, parce que dès son 2ème jour de vie j'avais dit qu'il était jaune.
J'ouvre une parenthèse pour les lecteurices qui n'ont pas eu d'enfants : la plupart des nouveaux-nés développent un ictère à la naissance, communément appelé "jaunisse", causé par une surabondance de globules rouges, qu'ils ne sont pas capable de détruire, leur foie n'étant pas assez mature, ce qui entraîne une production de bilirubine, donnant au bébé cette jolie teinte dorée de l'estivant méditerranéen. C'est plutôt banal, c'est rarement inquiétant, et le traitement est assez simple : exposition aux UV pendant 2 ou 3 heures pour détruire les globules rouges en trop. Sauf que l'ictère, ça fatigue. Et qu’apparemment, tous les enfants ne réagissent pas de la même façon (ce qui n'est pas très étonnant). Et lui, ça l'a épuisé au-delà de ce qui était autorisé par la faculté. Tellement au-delà, que les soignants ont préféré chercher tous les problèmes possibles, histoire d'être vraiment sûr·e·s qu'il n'y avait pas autre chose. Depuis le 26 mai, on a eu droit, et écarté, toutes les hypothèses : cancer, malformation intestinale, malformation cardiaque, épilepsie nocturne, maladie métabolique... Hier, il a passé un électro-encéphalogramme et une IRM cérébrale. Si vous avez des enfants, essayez de les visualiser à 15 jours, passant un EEG et une IRM, en restant sereins. Oh, et ajoutez à ça le grand frère, les aller-retours à l'hôpital, les nouvelles à donner aux collègues forcément au courant, à quelques ami-e-s choisies, la bouffe, les lessives, un peu de ménage, le travail quand même... avec tout de même l'aide de mes beaux-parents pour l'école le soir.
Hier soir, l'interne qui nous suit est passé dans la chambre pour dire qu'il n'y avait finalement rien à l'IRM.
J'ai eu envie de l'embrasser. J'ai été follement heureux pendant quelques secondes, mais j'ai commencé à me sentir mal juste après. Comme si mon cerveau ne voulait pas admettre que je pouvais enfin redescendre la pression, que tout allait petit à petit rentrer dans l'ordre (ça ne va pas être facile dès le début mais on s'en fout : il va bien). A midi, en répondant à des collègues qui me demandaient des nouvelles, j'ai failli fondre en larmes. Je sais que c'est le contre-coup, l'effet de la tension qui se relâche, mais c'est assez perturbant. J'imaginais que j'allais être léger, guilleret, et reprendre mon rythme d'avant, et je vois que ce n'est pas aussi simple, qu'il va me falloir quelques semaines pour cicatriser de l'âme. J'ai eu tellement, mais tellement peur.
Prenez soins de vos gosses, essayez de ne pas trop vous engueuler avec eux. C'est vraiment trop rare, trop fragile, trop précieux. Trop fugace.
*désolé, je n'ai jamais su compter en semaines d’aménorrhée. C'est "à peu près" 8 mois et demi, et en tout cas une semaine de plus que son frère.
EDIT du 12 juin : ils sont enfin rentrés à la maison hier soir.